Aux premiers soubresauts de la contestation anti duvaliériste en 1984, l'institution militaire commençait à manifester des signes évidents de nervosité envers le pouvoir. Près de trois décennies de duvaliérisme, d'arrogance macoute et de soumission du pouvoir militaire au pouvoir civil ont fini par indisposer, d'une certaine manière, une partie de la hiérarchie. L'incurie administrative, la misère galopante, le maintien inepte de la présidence à vie, et le réveil de la gauche renaissant après les hécatombes des années 60 rendaient difficile le maintien de Duvalier au pouvoir. Les donneurs d'ordre de Washington décidèrent de se débarrasser de ce pouvoir décadent afin de sauvegarder le système qui défend si bien leurs intérêts. Et avec leurs alliés locaux ils allaient remettre l'armée au cœur du dispositif politique d'où l'avait expulsée Duvalier.

 

Les FAD'H récupèrent le pouvoir après le 7 février à travers le CNG emmené par le général '"kalavatchè" Henry Namphy. Cette armée pétrie de 30 années de pouvoir totalitaire où le respect de la vie ne comptait pour rien, infiltrée et contrôlée par les services secrets occidentaux, ravagée par l'introduction en son sein du trafic de stupéfiants, allait se révéler la principale force contre-révolutionnaire empêchant tout établissement d'une démocratie progressiste en Haïti. Assassinats, viols punitifs, tortures, enlèvements sont caractéristiques de cette période où l'institution militaire s'oppose avec une brutalité inouïe aux tentatives populaires de sortir de la "fatalité" historique. 

credit: haitianphotos.com

 

Des coups d'État à n'en plus finir et des carnages collectifs comme à la ruelle Vaillant pour mettre fin aux premières élections post-Duvalier. Au fil de ces péripéties, l'institution militaire finit par perdre tout honneur et même toute structure et devient un conglomérat de malfrats au service de leurs intérêts criminels; les '"petits soldats" prennent le pouvoir signant ainsi la fin de la hiérarchie militaire et, ce faisant, la fin de l'armée en tant qu'institution. Les officiers ne sont pour la plupart que des caïds corrompus liés pieds et mains aux trafiquants et aux affairistes de la classe économique. Ils n'ont plus de contrôle sur la base qui elle aussi est composée de plus en plus d'individus de sacs et de cordes, soldats le jour et "zenglendos" la nuit. Des officiers parleront plus tard d'infiltration, ce qui une bien piètre excuse devant la déliquescence généralisée, à tous les échelons de l'institution.

 

Si l'armée '"macoute" comme on l'appelle à cette époque continue de terroriser les citoyens lambdas, elle a clairement fait son temps. Elle s'est condamnée et le compte à rebours a commencé. En attendant c’est un capharnaüm où les soldats déshabillent et humilient leurs officiers, où les troupes des casernes attaquent celles du palais national etc.

 

C’est dans cette ambiance globale délétère que survinrent les élections du 16 décembre 1990. Premières élections libres depuis la chute des Duvalier, elles conduisent au pouvoir un ancien curé de Saint-Jean Bosco, Aristide, soutenu par le secteur le plus dynamique de la gauche d'alors. C’est une provocation dans un monde qui vient de voir tomber à peine le mur de Berlin. Le nouveau pouvoir est piégé de toutes parts par l’impérialisme traditionnel et ses alliés locaux, bourgeoisie d'affaires, haute hiérarchie catholique et surtout officiers de l'armée ; L'inexpérience des nouveaux dirigeants et les dérives autoritaires du président voulant jouer précocement au Machiavel feront le jeu de ces forces obscures, et serviront de prétextes pour la réalisation du coup d'État du 30 septembre 1991. Ce putsch sanguinaire, s'il enraye pour longtemps les mécanismes de la lutte populaire en Haïti, signe aussi l'arrêt de mort de l'armée post –occupation, mais ça on ne le savait pas encore.

 

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