Je pars d’un constat que je ne suis pas le seul à faire : les autorités haïtiennes, du plus bas au plus haut niveau de l’État, se font un devoir ces derniers temps d’utiliser les réseaux sociaux pour faire passer leurs messages. À cela il y a plusieurs avantages, dont probablement le plus important est qu’ils leur permettent de dire exactement ce qu’ils ont envie de dire, sans aucune altération (naturelle ou voulue) qui est souvent l’apanage des médias plus traditionnels.

Ou peut-être tout simplement que ces responsables utilisent Twitter et Facebook, principalement, pour une autre raison : la quantité de propos critiques à leur égard, venant de cette jeunesse plus ou moins émancipée, maitrisant en partie ou totalement les réseaux sociaux. Internet est beaucoup plus accessible de nos jours, malgré d’énormes marges d’amélioration de ce secteur. Et les adeptes de ces nouveaux médias en profitent. 

Surfant sur la vague d’impopularité de la plupart de nos dirigeants dans l’opinion publique, les commentaires sur Twitter, surtout, n’ont jamais été aussi désobligeants, directs, et aussi négatifs sur l’action des gouvernants.

Nous n’avons qu’à nous souvenir de la récente mésaventure de l’actuel ministre – démissionnaire – de la culture et de la communication. Sa démission ou plutôt sa tentative de démission a même eu un #TwitterChallenge qui lui était exclusivement dédié, et dire que les propos étaient peu flatteurs est un euphémisme.

Je pourrais choisir d’autres exemples qui prouvent que ces nouveaux médias sont un pouvoir. Différents de la presse traditionnelle parce que plus vulnérables aux fausses informations, mais tout aussi importants, sinon plus car désormais chacun a une voix, et chacun s’efforce à la faire entendre. Là est toute l’importance de Twitter ou de Facebook.

 

Activisme 2.0

Il n’y a qu’à faire défiler les publications des fils d’actualité de ces deux géants des réseaux sociaux pour comprendre combien le ras-le-bol est complet. Cependant on peut aisément distinguer deux catégories d’utilisateurs : ceux qui publient leur opinion, leur rage de voir un pays aussi mal gouverné, et ceux qui se nourrissent de cette rage qui fait écho à la leur.

Mais de toute façon tous, ou presque, partagent cette impression que rien n’est mis en œuvre pour changer les conditions de vie de la population.

En cela nous bénéficions d’un avantage que d’autres peuples nous envieraient : la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. En effet, soit que les gouvernants n’ont pas les moyens technologiques de censurer Internet, soit qu’ils ne l’osent pas, un fait est que tout se dit et tout se sait grâce à ces réseaux. Pour le meilleur ou pour le pire.

Et désormais on sent que nos élus, ou encore ceux qui nous gouvernent, sont plus proches de nous. Proches non en termes d’affinité, mais de disponibilité. Parce que maintenant nous avons la possibilité de leur faire savoir directement ce que nous pensons d’eux, et dans la plupart des cas sans langue de bois aucune.

Certains cas pourraient s’assimiler à un manque de respect envers les autorités établies mais ne dit-on pas que celui qui veut son respect se le procure ?

 

 

Révolutionnaires de salon

C’est peut-être le plus grand reproche qu’on pourrait faire aux adeptes de Twitter et de Facebook. L’activisme social est payant, certes. Et la facilité et la rapidité avec lesquelles circule l’information est le premier garant de cette utilité.

Cependant, aucun changement réel, en profondeur, ne peut venir de quelques publications çà et là de citoyens frustrés, aussi populaire que soit leur opinion, et autant partagée qu’elle soit. Les réseaux sociaux ne suffisent pas.

 

Rester derrière un écran pour faire passer ses doléances ne sera jamais un moyen efficace d’obtenir satisfaction. Au contraire, cette attitude ressemble beaucoup plus à une sorte d’élitisme dans la révolte. D’establishment dans la revendication.

Une ligne sépare le peuple, celui qui crie sa misère dans la rue, et nous autres qui crions notre ras-le-bol sur Internet. Et aussi longtemps que cette ligne existera, nous n’aurons aucunement la légitimité d’exprimer le sentiment populaire.

De plus, les hommes d’État sont habitués à sous-estimer tout mouvement de revendication, et les réseaux sociaux leur donnent ce prétexte.

Car pourquoi prêter attention à des voix discordantes si elles deviennent silencieuses une fois le forfait internet épuisé ?

 

Pensez au Printemps arabe. Les mouvements de protestation ont atteint certains de leurs objectifs parce que les mêmes personnes qui twittaient étaient les mêmes qui participaient au soulèvement. Le peuple était du coup unifié. Et tous se sentaient également solidaires des doléances de tous.

C’est dans le partage de l’objectif de la lutte que les batailles se gagnent. Et si nous, adeptes des réseaux sociaux, sommes conscients de tout ce qui fait défaut à ce pays, nous sommes loin d’avoir la conscience révolutionnaire qu’il faut pour nous impliquer pour de vrai. Et là est le problème.

Ce décalage entre nos ambitions de changement et les moyens que nous souhaitons mettre en œuvre pour l’obtenir est ce qui nous handicape.

 

Je crois beaucoup au pouvoir de la technologie. Dans un pays comme le nôtre il peut être un outil puissant pour modifier les comportements et les façons de penser. Mais je crois aussi que rien ne vaut une démonstration populaire. Et pour arriver à nos fins, nous devons réunir le meilleur des deux mondes. La rue est le terrain qui compte.

Chez nous les conditions d’un soulèvement populaire ont toujours été réunies. Pas une fois ce peuple n’a eu le plaisir de connaitre un moment de répit dans sa lutte. Et chaque jour pouvait être LE jour. Nous en avons récemment fait l’expérience, mais ce n’était pas la première fois.

 

C’est pour cela que nous ne pouvons nous contenter de laisser les autres manifester notre volonté de changement à notre place. Il ne suffit pas de dire que le peuple a raison de manifester, que nous sommes d’accord avec ses revendications etc.

Il nous faut nous impliquer nous aussi, et cela passe d’abord par plus de cellules de réflexions, plus de débats sur les réseaux sociaux, plus de rencontres et d’échanges entre nous.

Puis après, demain, à fouler le macadam...

 

Suivez-moi sur Twitter: @jamy_ht

 

Retour à l'accueil