La pluie et moi, nous vivons une histoire difficile. Enfant, je l’adorais; quand il pleuvait c'était la fête. Une garantie de passer du bon temps avec mes sœurs, et nos petits voisins. Ma mère, qui était plutôt sévère, relâchait la pression. Il nous était permis de courir sous la pluie dans tout le quartier vide de danger, tout le monde étant allé se planquer des eaux célestes. Nous avions la rue pour nous seuls, et nous en profitions grandement pour faire des glissades sur les galeries. Parfois, nous nous rendions utiles en nettoyant les trottoirs et les canalisations qui passaient devant notre maison.

 

En grandissant, je me suis baignée moins souvent sous la pluie. Mais j'ai découvert un autre plaisir par mauvais temps: me coucher et entendre le son des gouttes d’eau caressant le toit en tôle de la maison, musique si douce à mes oreilles. Je me suis aussi découvert un penchant certain pour l'odeur de la terre mouillée, moins poétiquement mais plus scientifiquement appelée le pétrichor. Fille des provinces que je suis, cette odeur me ravira toujours. Je pourrais raconter tellement de choses positives sur les journées pluvieuses... Hélas! Cette belle histoire d'amour, comme toutes les histoires d’amour, n'est pas sans heurts ni cœurs brisés. Oui, il m’arrive aussi de craindre la pluie, de la redouter, et même de la haïr…

 

C’était un samedi de septembre, pluvieux comme je les aimais à l'époque. Ma maman m’interdisait toujours de sortir par mauvais temps le weekend, si ce n’était pour aller à la messe car j’étais frileuse. Je pouvais donc sécher le sport à l'école et rester m'amuser… sous cette même pluie dont elle voulait me protéger. J’attendais bien sûr qu’elle parte au marché. Eh oui je n'étais pas toujours obéissante; je ne le suis toujours pas d’ailleurs. Ce samedi-là donc, il a plu toute la matinée. Nous nous amusions comme des fous, quand vers 15h…"banda chanje". Rivières en crue un peu partout, infrastructures détruites, et c'était le déluge! Gonaïves et ses alentours inondés!

 

Avec ma famille, nous avons passé au moins trois jours à dormir à la belle étoile, craignant la pluie, l'exécrant même. C’était elle la responsable de tous nos maux. Elle qui nous avait mis dehors, abandonnant notre propre maison. D’un coup la pluie était devenue l’ennemie. Pas n’importe laquelle. Le genre qu’on voudrait étrangler de nos propres mains.

 

Mais bon, avec le temps je comprends pourquoi il est tellement facile de blâmer un phénomène naturel, au lieu de questionner nos gouvernements, de nous questionner nous-mêmes en tant que citoyens qui n'arrêtons pas de mettre nos vies et nos communautés en danger. Depuis ce jour mon amour pour ces fines gouttes célestes connait des hauts et des bas. Surtout des bas. Son odeur me ravit toujours, sa mélodie sur les toits en tôles sonne toujours aussi agréablement à mes oreilles. Malgré mon grand âge (là je plaisante) je dois souvent me retenir de me déshabiller et de courir allègrement m’exposer aux grosses gouttes venant du Ciel. Mais... il y a, au plus profond de moi, cette peur, ces "et si" que je ne me permets pas de formuler mais qui restent latents. Oui! Les traumatismes ont la vie dure. Je crois que même si je vivais cent ans, ces sensations-là ne changeraient pas. La preuve en est grande: dès le mois de Mai de chaque année, époque où il commence à pleuvoir souvent, je suis sur le qui-vive. Je repasse tout ce que j’ai appris sur les bassins versants, les phénomènes naturels, les changements climatiques… puis j'essaie de me convaincre que des dispositions ont été prises pour éviter les reproductions de ces malheurs. Je sais bien que je me mens, mais c’est la seule façon de calmer mon anxiété. Devenue très attentive à la météorologie je guette souvent les informations. Et quand par malheur cela se reproduit quelque part dans le pays, je revis ces heures d’enfer et maudis les différents gouvernements haïtiens qui sont incapables de nous protéger.

 

Il y a quelques jours, j'ai eu un moment de panique quand une pluie diluvienne m'a surprise dans les rues. Une pluie que pourtant j'appelais de toutes mes forces à cause de la chaleur suffocante du mois de juillet. On dit que l'excès en tout nuit, eh bien je crois que je n'en demandais pas autant. Amour, haine... Mais qui peut me le reprocher? En attendant que l’État se responsabilise et prenne les choses en main, tout peut encore arriver. Nous ne le souhaitons pas mais hélas! Qu'avons-nous fait pour éviter que cela ne se répète? Rien. Ou plutôt si: nous avons fait un carnaval. Mais ne nous égarons pas... Les cauchemars vont continuer pour beaucoup d'entre nous, du moins pendant un moment. Le moins longtemps possible j’espère. Et je vous comprends si comme moi vous éprouvez ce sentiment mitigé à l'égard de dame pluie. On aime bien, mais on en a aussi très peur. Comme j'ai dit tantôt: c'est compliqué…

 

Farah L. Augustin

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