On le sentait venir. La  grogne a commencé il y a longtemps mais ce n’était qu’un murmure. Un sourd chuchotement que personne n’entendait, mais que tous comprenaient. Le vase se remplissait goutte après goutte. Commissions après commissions. Caravane après caravane. J’ai moi-même en maintes occasions souligné l’absence de direction qui semblait définir ce quinquennat. En tout cas ses premiers mois. Un président-premier-ministre « caravaneur ». Un docteur silencieux. Un parlement décrié et acquis à la cause du pouvoir. Le tout sous fond de corruption, de scandales, de zen et de misère noire. Tandis que le baril de poudre attendait…

Puis le budget de l’exercice fiscal 2017-2078 est arrivé comme le ciel qui tomberait enfin sur la tête des Gaulois. De forts soupçons de pot-de-vin pèsent sur le vote. Répartition plus que questionnable des maigres ressources de l’État. Augmentation exponentielle des taxes. Je comprends parfaitement que pour fonctionner, l’État a besoin de revenus qui proviennent principalement d’impôts, d’une manière générale. Ces recettes de l’assiette fiscale, en retour, assurent à la population des services de base : eau courante, électricité, assainissement, infrastructures etc. Je ne suis donc pas contre la perception de taxes ; personne ne saurait l’être. En revanche, lorsque les taxes perçues ne sont pas rendues sous forme de services, nous entrons dans un cercle vicieux et sans fin qui conduira tôt ou tard à un mécontentement général : il faut payer ses taxes pour le bien de l’État vs pourquoi payer des taxes qui n’ont jamais rien amélioré. L’issue de cette situation est des plus incertaines et la journée chaotique du 12 septembre en est la preuve. 

Augmenter les taxes, oui, parce qu’il ne faut pas le nier, le pays a grandement besoin de ressources, en l’absence d’une balance commerciale satisfaisante. Mais graduellement. Augmenter des frais de passeport, par exemple, de 300% d’une traite ne saurait jamais se comprendre. Et ne serait jamais accepté. Oui, nous sommes un peuple qui « rit, chante, danse et se résigne » mais, comme il est si bien dit dans un récent article dans les colonnes de Tous Nos Maux, nous sommes aussi un peuple qui se soulève chaque fois qu’il n’en peut plus.

La situation a donc dégénéré et s’en est suivi un appel à manifester qui a mis feu aux rues de Port-au-Prince. Pneus enflammés, le classique de toute manifestation haïtienne, et dégâts divers. De simples citoyens, qui seront affectés eux aussi par le budget tel que voté, font malheureusement partie des victimes et cela est à dénoncer. Je discutais récemment avec un ami dont les réflexions m’ont toujours marqué. Il m’a affirmé que la violence est structurelle chez nous et qu’elle est utilisée intelligemment par des leaders anarcho-populistes pour diriger le peuple vers certaines cibles. Je suis d’accord. Ce peuple a été tellement manipulé qu’il ne fait plus la différence entre ennemis et alliés. Pour le plus grand bonheur de ceux qui ont pour objectif de servir leurs intérêts personnels.

Deux semaines de classe et à cause de décisions controversées, nous sommes déjà dans la période de « mobilizasyon manch long ». J’en arrive à me demander si la décision d’incrémenter les taxes n’a pas été prise sciemment, pour amener l’instabilité politique, et ainsi avoir une échappatoire le jour où le peuple demandera des comptes. Ils auront alors tout le loisir de rejeter la faute sur une opposition « rétrograde, destructrice, et violente ». Nous sommes en Haiti après tout. Toutes les manœuvres politiciennes sont bonnes pour éviter la reddition de comptes, surtout en ces temps où les caravanes patinent, où les ministres « kits » le gouvernement, et où l’inflation bat des records.

Voici donc devant nous une longue période d’incertitude et, si les choses dégénèrent, d’anarchie. Tout cela par la faute de dirigeants médiocres, qui ne donnent pas l’impression de s’intéresser réellement au bien-être du peuple qu’ils représentent. Maintenant que le diable s’en est mêlé, l’enfer nous attend tous. Je refuse de croire que nous avons les dirigeants que nous méritons, ni l’opposition qu’il nous faudrait.

 

Jameson FRANCISQUE

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